Nader, le parti du contre-pouvoir

Publié le par P.F.

Agé de 74 ans, Ralph Nader se présente pour la cinquième fois aux élections présidentielles américaines. L'avocat connu pour son combat pour la défense des consommateurs persiste et signe, malgré les nombreux obstacles qui jalonnent sa course électorale.

Nader a choisi de s'engager dans la vie politique dans les années soixante, en s'attaquant à la multinationale General Motors. Sa victoire contre ce géant de l'automobile marque le début d'une lutte acharnée pour la défense des citoyens et de l'environnement, basée sur de nombreuses associations ainsi que sur un important "lobbying citoyen". "Il faut une pression incessante de l'opinion publique, réclamant inlassablement l'épanouissement de la loi et de la technologie, pour que s'effondre la tyrannie des intérêts privés qui empoisonnent notre air et tournent la nature contre l'homme", déclarait déjà Nader en 1970. Cest ainsi, par exemple, que sont nés les "Nader's Raiders", de jeunes diplômés qui enquêtent dans tous les secteurs sur les abus de consommation.

Pendant plus de quarante ans, Ralph Nader a agi sans adhérer à aucun parti au pouvoir. Ce n'est qu'en 1992 qu'il se présente pour la première fois à l'investiture démocrate. Il réitérera sa candidature pour les Verts en 1996 et en 2000, où il remporte 2,7 % des voix. Beaucoup lui reprocheront alors d'avoir causé l'échec d'Al Gore, en lui "volant" les voix qui lui manquaient pour gagner les élections. Il a cependant depuis été prouvé qu'une grande partie (37 %) des électeurs de Nader étaient des "non votants", qui se seraient abstenus s'ils n'avaient pas voté pour lui. En 2004, Nader n'a obtenu que 0,4 % des voix, en s'étant présenté dans 34 États sur 50. Aujourd'hui, il tente à nouveau sa chance, en tant qu'indépendant. Malgré l'impossibilité d'être élu, et la certitude de se maintenir dans le contre-pouvoir. Son programme représente une réelle alternative face aux démocrates et aux républicains : il veut révoquer le Patriot Act, instaurer une couverture médicale universelle, porter le salaire minimum à 10 $, promouvoir l'éducation pour tous... et réclame le retrait rapide des troupes américaines en Irak.

Un système électoral qui limite les candidatures

Selon Sandy Maisel, professeur au Colby College de Waterville (Maine), "il est extrêmement difficile pour les tiers partis de mettre les candidats républicains et démocrates en difficulté. Le processus du Collège électoral et les critères d'inscription sur le bulletin de vote, de participation aux débats et d'octroi de fonds de l'État fédéral pour financer les campagnes favorisent les deux principaux partis". D'une part, le système à un seul tour pénalise les petits partis, car nombreux sont ceux qui craignent de "perdre" leur vote et préfèrent voter "utile". Ensuite, les candidats indépendants doivent faire enregistrer leur candidature dans chacun des cinquante États, dont dépendent les procédures électorales. Généralement, cela nécessite un nombre minimum de signatures de parrainage. Cette exigence réclame un énorme investissement financier, ce qui soulève la question du financement des campagnes électorales américaines.

Il existe un financement public, mais la plupart des candidats s'en passent. En effet, en acceptant des fonds publics, le candidat s'engage à respecter un plafond et à renoncer à des fonds privés après avoir obtenu l'investiture du parti, 3 mois avant l'élection de novembre. Vu l'importance des budgets concacrés aux campagnes, les candidats préfèrent donc souvent se tourner directement vers des fonds privés, bien plus importants (bien que plafonnés et réglementés depuis 2002). En outre, il faut obtenir plus de 5 % des voix pour pouvoir obtenir le financement fédéral (douze millions de dollars). Le financement privé est garanti aux principaux partis (démocrate et républicain) par de généreux donateurs liés aux multinationales, mais reste problématique pour les indépendants, souvent obligés de dilapider leur fortune personnelle.

Ce contexte explique la priorité, pour Ralph Nader, de réformer la loi électorale en finançant les campagnes avec l'argent public et en rendant le jour du scrutin férié. "Les Etats-Unis ont besoin d'une déclaration d'indépendance des multinationales", déclarait-il au Washington Post en 2000. Si la loi électorale changeait, le score du troisième parti pourrait, selon certains politologues, atteindre 30 % des voix. Cependant, le système américain reste majoritaire, c'est-à-dire que dans tous les États sauf deux (le Maine et le Nebraska), toutes les voix de l'État vont au candidat arrivé le premier dans celui-ci.

L' "ennemi numéro deux" des Démocrates

Outre les multiples difficultés du système électoral à surmonter pour un candidat comme Nader, il subit aussi une forte campagne de dénigrement de la part des Démocrates. Alors que sa candidature a réjoui Mike Huckabee (Républicain), qui a affirmé que "Nader vole toujours davantage de voix aux démocrates qu'aux républicains", les Démocrates avancent comme principal argument le vote "utile" pour l'écarter et le tiennent, comme on l'a vu plus haut, pour responsable de l'échec d'Al Gore en 2000. Les électeurs sont mis sous pression par des campagnes mettant l'accent sur le bipartisme. Les Démocrates jouent donc sur la politique du moindre mal: en 2004 circulait ainsi le slogan "Anibody But Bush" (ABB). En 2000, la Commission sur les débats électoraux, organisme contrôlé par les deux grands partis, ajouta un obstacle supplémentaire au parcours des indépendants: la condition d'obtenir un minimum de 15 % des voix dans les sondages pour pouvoir accéder aux grands débats télévisés. Or ceux-ci jouent un rôle essentiel dans les élections américaines, qui accordent une place énorme à la publicité et aux médias (a fortiori la télévision).

Un parcours du combattant

Malgré un parcours difficile, Ralph Nader se présente donc une nouvelle fois en tant qu'indépendant, en compagnie de Matt Gonzalez, lui aussi avocat et issu des Verts. Il s'est attaqué aussi bien à John McCain qu'à Barack Obama et Hillary Clinton, leur reprochant de ne pas soutenir un financement entièrement public de l'assurance-maladie et de cautionner le "budget militaire démesuré" des Etats-Unis. Des sondages lui accordaient récemment 10 % d'intentions de vote favorables dans le Michigan. La candidature de Ralph Nader est peu armée face aux deux grands partis omnipotents, mais elle reste essentielle par sa posture de contre-pouvoir, qui remet en question Démocrates et Républicains.

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