La justice à la crème

Plus connu sous les surnoms de "l'entarteur" ou encore de Georges Le Gloupier, Noël Godin fait partie des célébrités belges. Mais on ne peut se limiter à sa dimension pâtissière: derrière les tartes à la crème se cache un homme véritablement engagé.

Cet entretien date du mois de novembre, agité en France par les grèves des transports publics contre la énième réforme des retraites. Noël Godin venait tout juste de rentrer de Paris et la joyeuse anarchie qui y régnait l'avait rempli d'enthousiasme. C'est avec les yeux qui brillent qu'il raconte les bagarres du métro, et comment il n'a pu s'empêcher de rire quand un grand Noir a failli assommer une vieille dame! Le ton est donné: tout est permis pourvu que l'ordre des choses soit bouleversé avec humour.

Comment est née l'Internationale pâtissière?
Ce fut d'abord une imposture absolue. Je trouvais assez plaisant, dans des émissions télévisées, alors qu'on était une toute petite poignée de garnements, de parler d'une véritable Internationale pâtissière qui sévissait dans le monde- je disais ça comme ça, c'était totalement faux- et on m'a cru. Ce que j'avais annoncé s'est matérialisé totalement, tout seul, après l'entartement de Bill Gates. On s'est mis à entarter dans une quinzaine de pays, des fers de lance de la mondialisation, toujours d'excellentes victimes. Les images de Bill Gates encrèmé, traversant le monde et réjouissant beaucoup de gens, ont donné des idées à des partisans allumés. Ca a inspiré des mouvements qui se sont mis à frapper, à se constituer et à réussir des coups fumants. Alors on a constitué une véritable Internationale pâtissière, mais sans la moindre hiérarchie, sans la moindre bureaucratie, sans la moindre trésorerie: un truc tout à fait informel mais existant vraiment. Une anti-Internationale.

Quelle serait ta révolution idéale?
Plus que jamais ces jours-ci, comme on m'interviewe beaucoup sur la Belgique ou sur la France, je dis toujours la même chose: mon rêve, c'est de recommencer Mai 68 en allant beaucoup plus loin. Que les émeutes parisiennes, que les grèves actuelles se corsent. Et que tout recommence, que tout se bloque, que tout se paralyse. Qu'on paralyse l'entièreté de notre société autoritaire marchande et que petit à petit des assemblées libres se mettent à prendre des décisions partout. Les lieux à détruire définitivement, ça ne manquerait pas, les lieux à autogérer- mais c'est un vilain mot, autogérer, que je n'employe plus, parce qu'il s'agit de ne rien gérer dans ce monde-ci, tout est à détruire, mais de tout réinventer. Des assemblées révolutionnaires recréant le monde, réinventant tout. Utopie totale, certainement, mais Mai 68 a failli réussir. Dans tous les pays c'était possible, alors que deux trois mois avant personne n'eût pu y croire. Donc rien n'est jamais impossible.

Est-ce que tu comptes te rendre à la manifestation pour l'unité de la Belgique demain?
(NdlR: 18 novembre)
Jamais aucune manif, c'est-à-dire qu'une manif ne m'intéresse que si elle tourne à l'émeute. Et, ça a toujours été le cas, je suis contre les manifs, les pétitions, les votes à gauche, tout ça c'est de la carabistouille totale. Je ne suis que pour les actions inventives ou avec un certain contenu flibustier radical. Jamais de manif, mais par contre les émeutes comme il y en a eu il y a quelques années en France- il pourrait y en avoir ici aussi d'ailleurs- à partir de là on peut certainement vivre des choses très chouettes qui pourraient aller plus loin...

Qui mériterait d'être entarté aujourd'hui?
Tous les détenteurs de pouvoir de toute sorte, tous les êtres investis d'une certaine autorité méritent évidemment d'être entartés. Nous choisissons les pires sur notre liste noire. Pour le moment, la nouvelle obsession c'est ce que j'appelle les porte-trompettes du gouvernement Sarkozy, à commencer par les Bernard Kouchner, les Jack Lang, les Eric Besson, je n'ai plus à dire Fadela Amara, la fille de Ni Putes Ni Soumises, comme elle a été entartée il y a peu de temps, c'est bien fait pour sa gueule. Evidemment François Fillon, et c'est par là que je vais jouer tous ces temps-ci. En Belgique il faudrait tous les entarter en même temps au Parlement par exemple! Chaque section de l'Internationale pâtissière a sa spécificité. Ce qu'il faut dire par rapport à nous, c'est que nous avons expliqué le pourquoi de chacun de nos méfaits à l'aide d'un petit slogan, poème en alexandrin parfait.

Tu nous en invente un? Par exemple pour entarter le Roi Albert?
"Entartons, entartons les souverains morpions"...Mais le Roi Albert n'est qu'un pantin dont on tire les ficelles de tous côtés, un misérabiliste pantin.